suite des chroniques
Au
tribunal de grande instance, j'ai assisté aux audiences des étrangers – maintenus
en centre de rétention administrative – devant le juge des libertés et de la
détention, le fameux JLD.
Il y
avait un marocain, qui ne se souvient plus d'être marocain parce qu'il a eu un
accident quand il est arrivé clandestinement en France. Il est devenu plus ou
moins amnésique. Le môsieur n'a rien : ni papier, ni toit, pas même des
souvenirs de son enfance et des parfums qui embaument la médina.
Il y
avait un Pakistanais. Sans papier, sans toit, sans rien de ce que nous avons
vous et moi, mais il avait ce dont nous sommes repus : la liberté d’être
et de penser, de l’air plein la tête, le ravissement de voir se mouvoir les
filles et leur jupe.
Aujourd'hui,
une femme assez âgée de nationalité ivoirienne, s'est avancée pour me poser une
question. Elle voulait surtout qu'on n’oublie pas de l'appeler. Coquine, la petite
dame ridée avait aussi l’œil humecté de détresse.
Je l'ai rassuré. Mais elle a insisté :
-« tu
m'appelles ? Je passe avec toi ? »
-« ben
je ne sais pas, on verra !»
-« non,
je veux avec toi, toi tu es gentille ma fille »
-« allez
vous asseoir madame, on vous appellera, et s’il y a un problème vous viendrez
me voir ».
Je crois
que j’ai profondément énervé tout le monde ici. Tant pis, je m'en fous. Qu’ils
aillent tous se faire foutre.
À la suite d'un entretien avec un Turc qui devait
repartir, le flic-beau-gosse-au-cerveau-mouliné-menu a sorti les gourmettes. Ca
avait l’air de lui faire tellement plaisir de sortir les menottes et de les
visser aux poignets de ce monsieur chauve. Pouvoir et jouissance. Pourtant, le
Turc en question était très coopérant, rien ne justifiait le passage des
menottes. Si le monsieur avait été allemand, jamais il n’aurait subi cet
affront. Oui, pardon l’espace Schengen permet aux européens de circuler
librement. Si t’es mal né, si tu es de l’autre coté de la Méditerranée, les
portes sont fermées. C’est ça Schengen, fermer les portes, rejeter comme on
vomit de la bile, ce que les commissaires européens jugent « indésirables ».
Liberté de circuler avez-vous dit ? Ça dépend
pour qui.
J’ai eu
honte devant ce Turc qui regardait le vide béant se creuser devant lui. J’ai eu
honte. De rester assise là, avec mes jolies chaussures vernies, j’ai eu honte
de ne rien dire au maton.