à côté ... suite
Je me
souviens d’un Moldave à la coupe de cheveux improbable, sourd et muet qui avait
porté sa main sur la poitrine en me faisant un signe de la tête plein de
déférence. Ce signe, cette déférence, m’avaient touché. Evidemment. Ils m’avaient
terriblement gêné. Aussi.
À côté, toute la matinée, j'ai entendu des gens qui
s'énervent, qui hurlent, qui insultent, excédés d'avoir attendu toute une nuit
souvent pour rien, souvent pour qu’on leur dise « revenez demain ».
Et face
aux cohortes, des flics qui jouent, bon gré mal gré, les agents de médiation.
Ou les
shérifs c’est au choix.
À midi je suis allée jusqu'au centre commercial
acheter un petit pain aux graines de pavot chez Paul, seul boulanger vraiment valable
dans le quartier.
Dans un
coin du hall des flics en civil étaient en train de serrer des petites
racailles du « 9-3 ». Ventres à terre ils criaient, à peine
convaincus eux-mêmes, « méééheuuuu ! On a rien fait m'sieur ».
Et pendant ce temps là dans les salons feutrés du pouvoir, Rachida Dati
présentait son projet renforçant la lutte contre les méfaits récidivistes des majeurs,
des mineurs, des chieurs.
Personne
ne faisait réellement attention, chacun continuait son petit trafic : les jeunes
filles sages où les « bonnes go » tous seins dehors les soldes
dans des boutiques de seconde zone, les mamans leurs courses alimentaires et
les mecs leurs palabres au comptoir, dessinant des volutes de fumée autour de
murs jaunis depuis longtemps.
Je suis
dans le ghetto. Par tous les pores de l’asphalte, ces rues respirent le ghetto,
la saleté, l’embrouille, la misère humaine. Par tous les pores de l’asphalte, ces
rues respirent la mort, la vie.
Le
souffre un peu aussi.
À coté, l'agacement général a repris de plus belle.
Les étrangers titulaires de carte de séjour d’un an renouvelable ou de carte de
résident de dix ans en ont marre de dormir ici, d'attendre debout pendant
plusieurs heures pour retirer un nouveau titre qui est déjà presque périmé. Le
traitement des dossiers a du retard, le personnel manque et l'ampoule dans les
toilettes est grillée depuis trois semaines.
Les
étrangers crient, insultent, les agents les insultent à leur tour, tout le
monde s'énerve, aujourd'hui, hier, demain. On cogne contre les murs de
séparation entre les différentes portes d'accès. Une porte est tombée deux fois
la semaine dernière. Tensions paroxystiques. On a remonté la porte. Jusqu'au
prochain accident.
Quinze
heures. Un flic se fait poignarder à coté. Choc et panique.
Dans le
bâtiment soviétique, l'ampoule dans les toilettes est grillée depuis trois
semaines et il n'y pas de détecteurs de métaux.
Môsieur
le Préfet qui, ne supportant plus de voir quotidiennement ces immigrés, cette
faune, ces gueux s’étaler le long du bâtiment d’acier jusqu'au métro jour et
nuit, voulait déplacer les files d’attente afin que ses yeux ne soient pas
heurtés par ce spectacle affligeant lorsqu’il regarderait par la fenêtre de son
douillet petit bureau de ministrable.
Dix-sept
heures. Le poulailler est toujours planté devant le bâtiment. Les étrangers sont
pourtant presque tous partis. Sauf ceux qui veulent impérativement être les premiers
à entrer ... demain matin à coté où ça recommencera encore.
Je
reprends le métro et contemple à nouveau, comme à chacun de mes trajets, les
graffitis qui courent sur les murs abandonnés longeant le canal Saint Martin.
Je
contemple les graffitis aux couleurs vives, belles, rebelles, qui courent sur
les murs abandonnés longeant le canal Saint Martin en écoutant encore NTM :
« pourquoi tout cela finira dans le désarroi, l'agonie lente? ...à cause
de ces putains de politiques incompétentes... ».
Et je me
demande si j'ai passé ma journée dans le Tiers monde ou le Bronx...
Un peu
des deux, sans aucun doute.